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El Capistrano
29 mars 2006

Lettre enfantine

Je voudrais ta tête sur mon épaule,
je voudrais te serrer contre moi,
ne plus jouer quitter le rôle,
pour te connaître devenir toi.
Je voudrais traverser la terre,
tenir ta main et la serrer,
foutre en l'air toutes les frontières
qui nous empêchent de nous toucher,
Je voudrais te parler sans cesse,
pour mieux t'entendre, t'écouter
réhabiter à ton adresse,
ne plus jamais te voir pleurer.

Je voudrais toute la tendresse,
tous les frissons te les donner,
faire partie de toutes tes détresses
celles que tu as gardé cachées,
je voudrais les mots pour te dire,
une symphonie un opéra,
en des milliards d'éclats de rire,
te redonner un peu de joie.

Je voudrais faire le pitre,
un musical à moi tout seul,
écrire un livre sans chapitre,
avec toi me soûler la gueule.

Je voudrais qu'on tombe dans la boue,
que l'on s'enlace comme des enfants,
qui en ont marre d'être debout,
de dire merci à leurs parents.

Je voudrais faire le con à la messe,
tirer le diable par la queue,
et dire des mensonges à confesse
et me refoutre du bon Dieu.

Je voudrais arrêter les heures
et redevenir tout petit,
je voudrais toute la chaleur
et rester toujours ton ami.

Je voudrais réchauffer l'hiver,
marier l'automne et le printemps
et monter dans ta montgolfière,
s'envoler jusqu'au firmament.
Je voudrais que tu sois Don Quichotte,
je te suivrais comme Sancho,
preux chevalier chausser tes bottes
pour voir le Kilimandjaro.

Alors on traverserait la plaine,
jusqu'à épuiser nos chevaux
et tu deviendrais capitaine
sur le plus joli des bateaux.
Je voudrais des fées, des sorcières
et des dragons crachant le feu,
vivre enfin toutes nos chimères
et ne jamais devenir vieux.
Je voudrais le mal qui te fait mal,
le prendre en moi pour le détruire,
ne plus jamais te voir souffrir.
J'ai des sanglots qui me frissonnent,
je veux pas être fort, je veux pleurer,
comme personne,
pour que tu puisses me consoler.
Je voudrais devenir ton gavroche,
guetter tes pas comme un bonheur
je voudrais redevenir ton mioche
et t'appeler parce que j'ai peur
Papa je veux pas que tu meures.

Je te revois dans la cuisine silencieux et bougon,
boire ton café, fumer tranquille,
transistor et informations,
tu te levais comme tant d'autres,
cinq heures du mat et sans frisson,
chaque matin comme les autres
tu te lavais sans illusion.
Je te revois dans le couloir
mettre ta veste et ton béret,
ouvrir la porte et tous les soirs
fatigué tu nous revenais,
j'entends encore ta mobylette,
l'hiver brouillard et puis l'été
tes pas résonnent dans ma tête,
je t'ai toujours vu te lever.
Je t'imaginais à l'usine,
blotti dans tes arrière-pensées,
au nom de ceux qui nous dominent,
tu t'es abîmé la santé.
Tu as vécu en solitude,
tu nous as dit si peu de mots,
et toutes ces putains d'habitudes,
qui te faisaient courber le dos.
Toutes ces heures sans importance,
qui font la vie des petites gens,
tous ces lundis, tous ces dimanches,
tous ces mariages, ces enterrements,
tu as trinqué au quotidien,
au jour foutu, au jour meilleur,
même si ta vie ne sert à rien,
elle est ma force et ma grandeur.
Tu as trimé mon petit père,
tu as souffert bien plus que moi,
je suis ton fils et j'en suis fier,
oh non I je ne t'oublierai pas,
je cherche encore pour te décrire,
je cherche au ciel de mes pensées,
quelques images des souvenirs,
je cherche encore à te parler.
Qui étais-tu soleil dans l'ombre
paysage de mon enfance,
ton doux regard parfois si sombre,
dis-moi Papa à quoi tu penses.
J'ai des sanglots qui me reviennent,
tu sais Papa, je t'aimais bien,
et ces sanglots quant ils me viennent,
ce sont des cris de petit chien.
On comprend mal quand on est môme,
pourquoi le Père rentre trop tard,
on se bat contre le fantôme
d'un homme qui cache son cafard.
Je voudrais monter sur une montagne,
parler aux arbres, cracher au ciel,
je voudrais revoir ta Bretagne
et m'endormir à côté d'elle.
Je voudrais foutre le feu aux usines,
car elles t'ont déchiré la peau
hurler cette guerre d'Indochine
qui a blessé tes yeux si beaux

Papa je veux pas que tu meures !

Je voudrais changer le monde, le monde entier,
que les gens comme toi on les respecte,
combien sont-ils à travailler
pour quelques-uns qui font la fête,
je voudrais te voir heureux,
te voir faire la grasse matinée,
je voudrais qu'au fond de tes yeux
renaissent de belles journées.
Tu sais Papa je t'ai souvent regardé
et sans rien te dire,
je voulais t'aider,
mais il faut grandir.
Je t'ai craché à la figure
des mots d'adolescent perdu,
tu sais Papa je te le jure,
tous ces mots-là ont disparu,

je veux pas que tu meures.

Tu étais seul toute ta vie,
les enfants, les devoirs,
les fins de mois, tous les soucis,
la Mère souvent qui en a marre.
Les déménagements
les engueulades et le désespoir
tous les après licenciements
une autre place et puis l'espoir,
mais toi tu t'étais mis à boire
comme pour aborder quelque part,
comme pour aborder quelque part
Papa je veux pas que tu meures,
je veux pas que tu meures

Pourtant il y eut tellement de joie,
des jours à faire péter la terre,
des jours à réveiller les gens,
à déterrer les cimetières,
tout me revient; mes frères, mes soeurs,
et toi jouent de l'harmonica,
on te disait "vas-y Papa",
tu nous jouais "le dénicheur", c'était ça le bonheur !
Je me souviens c'était Noël
et tu décorais le sapin,
on aurait dit un arc-en-ciel
qui s'était posé sur tes mains,

ah ! l'harmonica,
il nous faisait faire le tour du monde
avec des histoires de marin,
on apprenait que la terre est ronde,
on se baladait dans tes embruns,

c'était ça le bonheur !
Tu soufflais dans l'harmonica
et ma mère valsait sur la table
le petit vin blanc, la Paloma
et d'Amsterdam à ta Bretagne
on voyageait sans un centime,
on frissonnait en roses blanches
on s'étoilait en puits de Chine,
c'était tous les jours dimanche,

ah ! le bonheur,
tu sais Papa quand la vie me fragile,
je pense à ton harmonica,
je veux pas que tu meures !

Et face à la mort comme des dingues,
on va chanter, on sera bien,
tu craches au cul de ton cancer
il n'est pas fini ton chemin.
Face à la mort mon petit Père,
faut te lever comme un matin.
Je veux pas que tu meures !

Faites silence s'il vous plaît,
pas de cimetière, pas de curé,
mon Père la mort il la déchire
et tant pis pour les chrysantèmes,
les croque-morts n'ont rien à dire,
l'harmonica va rechanter,
je veux pas que tu meures !

Allez lève-toi mon petit Père,
je veux te serrer contre moi,
je veux serrer le monde entier,
je t'en supplie ne t'en va pas,
j'ai tant besoin de te parler,
je veux ta vie comme elle est,
ne rien changer dans la maison,
j'accroche à mon coeur ton portrait,
je redeviens petit garçon,
je voudrais pour toi toutes les étoiles
je voudrais pouvoir te câliner,
je voudrais plus que tu sois mal,
je voudrais avoir le droit de t'aimer,
c'est con la vie comme tu disais,
la tienne s'en va vers quel pays,
la tienne tu vois moi j'y tenais,
je voudrais la garder ici
Papa je veux pas que tu meures,
je veux pas.

Et ton voyage solitude
te conduit jusqu'à l'hôpital,
pour toi la vie redevient rude
pourtant tu n'as rien fait de mal,
la maladie bouffe ta gorge,
tu affrontes l'opération,
restent tes yeux qui interrogent
je te regarde plein d'émotion,
ça me fait chialer, ça me fait mal,
je voudrais gueuler des mots banals
que l'on crie quand on a mal,
Tu as jeté tes cigarettes,
tu n'avaleras plus de fumée,
tu regardes pas la fenêtre,
tu te recroquevilles dans tes pensées.
Tes mots s'éteignent devant nous,
tu ne joueras plus d'harmonica
pourtant tu resteras debout.
Faut pas que tu meures ! Faut pas.

Mais tu m'écris sur ton ardoise,
c'est les dimanches qui sont longs
et peu à peu tu apprivoises
les nuits qui viennent les jours qui vont.
Dans cette chambre d'hôpital
je repense à toute ta vie,
Tu te bats seul ça me fait mal ;
je quitte l'hôpital le ciel est gris.
Je veux briser ton silence,
te couvrir d'étoiles de mer,
fermer la porte de ta chambre,
que tu fasses l'amour à ma Mère.
Je veux pas que tu meures !

Je voudrais vous regarder danser
champagniser tous vos regrets,
je voudrais que tu puisses parler
pour que l'on sache qui tu étais !
Je veux pas que tu meures !

Je voudrais réveiller les voisins
et faire la fête jusqu'à tomber,
je voudrais tes histoires de marins,
dans tes embruns revoyager.
Je voudrais ta tête sur mon épaule,
je voudrais te serrer contre moi.
Je veux pas que tu meures !
Je ne veux pas !
Parce que je t'aime !

migrateurlebihanjpg

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Commentaires
Y
faut il attendre d etre mort pour avoir une vraie reconnaissance car c est un maitre de la poésie doublé de slam saisissant le monde possede encore bien des tresors et monsieur jean marc le bihan en fait parti ...
M
dis lui ste plaît MERCI... <br /> Ce texte est bouleversant...<br /> Merci pour nos pères partis trop vite, tellement vite qu'on n'a pas eu le temps de leur dire... <br /> Faudra leur dire, faut leur dire combien ils étaient ces êtres essence-ciel à notre vie, combien, oh! combien on les a aimés...
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