L'homme blessé
Moi, je suis l'hiver au fond du quartier,
Vieux loup solitaire, coeur abandonné,
Je marche de travers, ça m'fait tituber,
Je regard' par terre pour n'plus regarder.
R. Dès la nuit tombée,
Je hante les rues,
La vie m'a blessé,
J'attends qu'ell' me tue.
La nuit m'appartient, je la connais bien,
EII' se donne à ceux qui vont sans matin,
EII' rit comme elle pleure, brave citoyen,
Si ell' te fait peur, reste dans ton coin.
R
Vous me dites fou, pauvre et sans raison,
Je n' suis pas comm' vous, vous avez raison,
J' n'aim' pas vos sourir's, car ils sont moqueurs,
Gardezvos plaisirs, je gard' ma douleur.
R.
C'est vrai, vos enfants sont déjà comm' vous,
Ils rient méchamment, me jett'nt des cailloux
Je les laisse faire et j'essuie mon sang,
J'ai mal dans ma chair mais je serr les dents.
R.
Et la société, si ell' se protège,
Fausse liberté, tu es pris au piège,
Tu vis à crédit, tu travaill's pour elle
Tu n' peux plus t'enfuir, car ell' te surveille.
R.
Je crach' ma misère, je piss' sur tes murs,
Je fais tes poubell's, je bout tes ordurs,
Je ne suis qu'un rat et je mords tes chats,
Si tu me salues, je n' te salue pas.
R.
Je suis moins qu'un chien, moins qu'un cimetière,
Je suis moins que rien, garde tes prières,
Tes mots militaires ne me font pas peur,
Arme ton fusil et tire en plein coeur.
R.
Je suis ta conscience, j' te crois'tous les soirs,
Je suis ta souffrance, je suis ta mémoire,
Tu baisses les yeux rien qu'à mon regard,
Mèm' si tu m'en veux, je suis ton miroir.
R.
Un' fillette, dans la ruell', joue à la marelle.
J.M. Le Bihan